SOUNKAROU, LA FUGITIVE DE FARINCO
Il est 04 heures du matin en cette nuit du 1er Juillet 2006 dans le village de Mambouckou, Département de SEDHIOU, lorsque Sounkarou SABALY se lève silencieusement, s’approche de sa fille Mariama MBALLO et l’étrangle à l’aide de son foulard avant d’aller jeter le corps dans un puits.
Puis elle va se réfugier dans le village de FARINCO, en territoire bissau guinéen. Appréhendée et interrogée sur les raisons de son acte elle dira que la victime était possédée et qu’elle lui revenait assez souvent en songe, sous des formes étranges.
RECIT
La concession est semblable à toutes les autres.
Elle est composée de quatre cases à toits de chaume. Sans la moindre clôture, elle est accessible des quatre points cardinaux. Les occupants n’ont aucune crainte à avoir quant à d’éventuels cambrioleurs qui pourraient les surprendre.
Parce que le village de Mambouckou est en permanence plongé dans un calme plat qui fait le bonheur de sa poignée d’habitants. Ensuite, cette concession ne recèle aucun bien qu’un malfaiteur pourrait convoiter au point de pouvoir y perpétrer un cambriolage.
Situé dans l’arrondissement de Tanaff, dans le département de Sédhiou, ce village est au cœur de la Casamance, entre Bignona et Kolda.
Casamance, cette région naturellement verdoyante du SENEGAL a d’abord «appartenu » au Portugal pour avoir été découverte en 1446 par le navigateur Alvaro FERNANDEZ. La France va alors grincer des dents, elle n’avait mis la main que sur la partie Est, dite Haute Casamance, réputée sèche, avec de vastes étendues herbeuses, sans aucun accès à la mer.
Un siècle auparavant, les diolas vont occuper progressivement toute la rive du fleuve Gambie, en provenance de l’empire mandingue du Mali d’où ils ont été combattus et chassés. Ils vont alors glisser lentement jusqu’à occuper la partie Sud. Arrivent alors les portugais qui occupent les îles du Cap-Vert, puis Gorée, base à partir de laquelle ils vont aller chercher des esclaves en Casamance. Avec la création du comptoir de Ziguinchor, la traite des esclaves va emprunter la voie fluviale jusqu’en 1836, avec l’arrivée des français qui vont installer un comptoir à Sédhiou et se mettre à exploiter l’arachide et le caoutchouc. Mais les colonisateurs vont être en butte à la bravoure et au courage des diolas qui vont faire face à cette occupation et attaquer Karabane. Une accalmie va naître de l’accord franco-portugais du 12 Mai 1886 : la France va céder les îles du Cap-Vert au Portugal et obtenir de ce rival un accès à la mer. Les français vont ainsi racheter Ziguinchor aux portugais et parvenir ainsi à installer leurs grandes sociétés commerciales qui vont tirer profit de l’accès à la mer. Mais jamais, pendant toutes ces péripéties, la résistance diola, hautement incarnée par la courageuse Aline Sitoé DIATTA, ne va cesser, même lorsqu’elle fut déportée à Tombouctou.
C’est à cet historique et à sa position géographique que le Sédhiou doit sa situation économique actuelle, Ziguinchor ayant toujours constitué le chef-lieu de la Basse Casamance depuis qu’elle a supplanté Karabane, au début du 20éme siècle, précisément en 1907.
Un peu plus d’un siècle plus tard, Samba MBALLO et les siens, vivant modestement dans ce village de Mbambouckou, implanté au cœur de Sédhiou, vont, à la surprise de tout le village, se retrouver brutalement au-devant de la scène.Et pas de la plus belle des manières puisque c’est un drame sanglant qui va les propulser brutalement sous les feux de l’actualité.
La famille est composée d’un homme, d’une femme et de quatre enfants en bas-âge. Ils vivent dans une parfaite harmonie et se contentent de peu, gardant les mêmes habitudes depuis toujours.
La femme, Sounkarou SABALY est pratiquement la seule à faire vivre l’ensemble de la famille, avec les revenus de ses travaux champêtres et de riziculture.
La journée ne lui laisse pas une minute de repos et, le soir, elle est bien obligée de s’occuper de la nourriture de ses quatre filles issues de son premier mariage.
Et le visiteur qui arrive pour la première fois pourrait croire que la nuit tombée, cette femme éreintée doit avoir la consolation de savourer un repos bien mérité dans les bras de son époux. Pourtant, il n’en est rien. Sounkarou SABALY n’est pas l’épouse de l’homme qui gouverne le toit familial…
Et en ce 1er Juillet 2006, elle n’a pas à préparer le repas du soir, comme elle le fait toujours, sous une chaleur étouffante. Toute la famille est partie depuis la tombée de la nuit pour assister à la célébration du mariage d’une voisine, à l’exception de ses deux dernières filles, Fatoumata et la petite Mariama MBALLO, sa dernière-née.
D’ailleurs, Mariama est présentement entrain de dormir sur la natte étalée devant la case principale. C’est ce qui donne à sa mère un répit dont elle profite pour servir très rapidement le diner qu’elle vient de préparer en plein air, un plat à base de fonio et de tubercules bouillies. Le repas, prêt peu avant 21 heures, ne dure que peu de temps et toutes les trois vont se coucher dans la case ;
Il est tout juste 22 heures…
Elles sont seules dans l’une des quatre cases formant la concession, les trois autres sont vides de toute présence humaine.
Dehors, c’est le calme plat que ne viennent perturber que les aboiements lointains d’un chien, dans la brousse environnante.
Lentement, toutes les trois occupantes de la case se laissent pénétrer de la fraicheur nocturne et glissent, une à une, dans un profond sommeil, la mère sur le lit, avec la plus petite, tandis que Fatoumata est allongée sur une natte à même le sol cimenté.
Au loin, la célébration du mariage bat son plein avec force breuvages alcoolisés et danses endiablées. L’union a été scellée devant Dieu, tout à l’heure, à la mosquée et voilà un bon moment que l’épouse s’est retirée de la vue des convives.
Au beau milieu de la nuit, quelqu’un annonce à la cantonade que les amis du marié, emportés par leur joie, venaient de se faire livrer de nouvelles quantités de boissons et que la fête ne faisait que… commencer
Le lendemain, 02 Juillet 2006, de toute la famille MBALLO, Sounkarou est la première à se lever, aux premières lueurs du jour.
Les filles sont encore plongées dans un sommeil profond. Les festivités du mariage de la veille ne se sont terminées qu’à l’aube approchant.
Plus tard, vers la fin de la matinée, Samba MBALLO, le chef de cette petite famille, remarquera que la petite Mariama MBALLO n’est pas présente dans la concession.
Il s’en étonne auprès de la mère de la fillette :
-Où est Yama ? lui demande-t-il, en s’enfonçant la tête dans un vieux bonnet aux couleurs douteuses.
-Ah Oui, elle était partie jouer depuis ce matin, répondit la femme en se redressant de ses fourneaux devant lesquels elle s’affairait. Je me suis dit que cela va me permettre de faire plus rapidement mon travail. Elle a demandé la permission de pouvoir rester avec son amie Ramata et manger avec elle. Ne t’inquiète pas, je lui ai toutefois mis un petit plat de côté, je sais qu’elle va vouloir manger dès qu’elle arrive.
Samba MBALLO fut un peu agacé par cette liberté que Sounkarou avait prise de laisser sortir la petite Yama à son insu. Il ne dit rien sur le coup, préférant faire ses remarques lorsque la jeune fille serait de retour, afin que toutes soient au fait de sa désapprobation.
Alors il se mit à attendre.
Cependant, aux environs de 19 heures, de retour de ses palabres avec les autres hommes du village, il apprit que la jeune fille n’était toujours pas revenue. Son inquiétude vira vite à l’angoisse. Samba MBALLO eut le sentiment qu’il se passait quelque chose d’inhabituel. Il se reprocha alors d’avoir été aussi patient, trop patient.
Sa pensée revint brusquement aux nombreuses rumeurs qui lui avaient été récemment rapportées et qui faisaient état d’un viol sauvage dont avait été victime la fille d’un habitant du village.
A ce souvenir, un frisson lui parcourut le dos et son angoisse se mêla d’une vive irritation.
Soudain, il gronda :
-Mais tu vas finir par nous dire où est passée Yama à la fin ? Tu penses qu’elle peut aller jouer du matin jusqu’à pareille heure ?tonna-t-il soudain en marchant en direction de la jeune femme, enchainant nerveusement les va-et-vient d’un pas vif.
Sounkarou ne répondit pas, elle s’emmura dans un silence qui fit monter de plusieurs crans l’angoisse qui commençait à se propager à toute la famille. Tous étaient réunis dans la cour de la concession et accrochés à ce que Sounkarou voudra bien dire pour expliquer l’absence de la jeune fille qui commençait à être troublante. La fille aînée n’osait poser la moindre question à la place de Samba MBALLO mais elle brûlait d’une folle envie de s’agripper à sa mère pour la forcer à mettre un terme à leur supplice en leur disant où se trouvait la petite. Au-dessus de leur tête, le ciel commençait à s’assombrir et l’atmosphère pesante ajouta à la peur que ressentait la jeune fille. Peur pour sa sœur dont elle ignorait tout pour le moment.
-Debout ! Lui enjoignit Samba MBALLO, debout, je ne vais pas te laisser dormir sans me dire où est passée la petite. Dépêche-toi, on va y aller tout de suite.
En disant cela, le paysan, l’air menaçant, s’était rapproché de la femme accroupie. A présent, celle-ci l’entendait respirer nerveusement.
Puis Samba MBALLO se redressa et s’éloigna hors de la concession et attendant que la paysanne le rejoignit. Celle-ci s’exécuta prestement. Elle ne savait même pas où est-ce qu’il la conduisait.
Moins d’une trentaine de minutes plus tard, ils se trouvaient tous les deux assis au milieu d’une cour, dans une autre concession située à l’Est du village. Lui était adossé au tamarinier planté au milieu de la maison et gardait un silence crispé, n’adressant pas la moindre parole à la jeune femme qui l’accompagnait. Au bout d’un moment, une fille vint leur servir à chacun une cruche d’eau à boire et ils attendirent d’être reçus par le maître des lieux.
Celui-ci sortit de sa case au bout de quelques minutes et serra la main de son visiteur en lui faisant une rapide accolade. Il n’eut qu’un regard discret pour Sounkarou qui n’avait pas relevé la tête depuis qu’elle s’était assise au pied de l’arbre.
Samba MBALLO prit la parole dès que les deux hommes finirent leurs salutations et s’assirent.
-Voilà, Mamadou KANDE, tu es le chef de village et je viens te voir pour une raison impérieuse. Le but de ma visite est grave et je dois t’avouer que j’ai fait un détour chez l’imam pour lui dire que je venais te voir…
Il fut interrompu, un homme d’un âge avancé venait de franchir le seuil de la concession.
-Imam ! s’exclama l’amphitryon, Samba MBALLO que voici vient de m’informer de votre visite. J’étais sur le point de lui proposer d’aller chez toi quand tu es arrivé.
-C’est du pareil au même, répondit le sexagénaire dans un large sourire, tandis que Mamadou KANDE tirait la chaise de laquelle il venait de se lever pour inviter son visiteur à y prendre place.
L’imam fit comme s’il n’avait pas vu la femme assise à moins de trois mètres du trio et prit un air de solennité qui invita Samba MBALLO à relater tout de suite la raison pour laquelle il l’avait déplacé.
D’un ton sec, Samba MBALLO reprit son récit à l’attention des deux hommes qui l’écoutaient et termina en s’adressant d’une voix lourde à Sounkarou :
-Tu ferais mieux de nous dire tout de suite ce que tu as fait et de nous ramener l’enfant, je te le dis devant l’imam et le chef du village que voici.
En prononçant ces mots, il la regardait d’un œil sévère, en lui pointant un index tremblant de colère. Jusqu’ici l’imagination de cet homme simple n’avait conçu aucune idée de ce que Sounkarou pouvait savoir de la petite qu’elle ne put révéler. Ce mutisme assourdissant dans lequel elle s’était enfermée l’exaspérait plus qu’il ne lui fit craindre la survenance d’un malheur quelconque.
Puis ce fut un silence et les trois hommes regardèrent ensemble la femme qui gardait la tête baissée.
Elle sentit une goutte de sueur descendre le long de sa colonne vertébrale et s’écraser à la chute de ses reins.
On entendit la voix de l’imam.
-Sounkarou…Sounkarou, répéta-t-il lentement avant de laisser cette interpellation faire son effet sur la jeune femme ployée sur elle-même.
Alors Sounkarou se redressa et parla.
A son récit, les trois hommes furent pétrifiés par l’horreur de ce qu’elle leur racontait à un point tel que lorsqu’elle termina personne ne prit la parole.
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